C’est la question qui est posée aujour’hui à la Cour de cassation 3e chambre civile suite à l’arrêt de la Cour d’Appel de Bordeaux rendue 11 février 2022.
Il s’agissait d’un conflit famillial entre les parents usufruitiers et leurs enfants nu-propriétaires, montage classique s’il en est.
Les parents propriétaires de l’usufruit à hauteur de 80 % des part sociale vont, dans le cadre du conflit famillial, solliciter la modification de la gérance.
Apres avoir mis en demeure le gérant de la société de convoquer une assemblée générale, demande restée sans réponse, ils vont, sur la base de l’article 39 du decret du 3 juillet 1978, saisir le Tribunal Judiciaire de Libourne afin d’optenir la nommination d’un admistrateur ha-doc en vue de la convocation à une assemblée générale statuant sur le sort du gérant.
L’art 39 al 1 du decret précise « un associé non gérant peut à tout moment par LRAR, demander au gérant de provoquer une délibération des associés sur une question dérerminée. », le conseil des demandeurs usufruitiers mettant l’accent sur les difficultées familliales.
Le Tribunal Judiciaire de Libourne puis la Cour d’Appel de Bordeaux écarteront la demande faite, d’une maniére lapidaire, « découvrant », ce qui est rappelé depuis l’arrêt de la Cour de Cassation dit « arrêt de GASTE » du 4 janvier 1994, que l’usufruitier de parts sociales ou actions ne peut revendiquer le statut d’associé et qu’ainsi l’article 39 présité de peut trouver à s’appliquer.
Les demandeurs formeront un pourvoi en cassation.
C’est en l’état que le dossier se trouve devant la 3ème chambre civile de la Cour de Cassation.
La Chambre Civile de la Cour va demander avant dire droit un avis de la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation en application de l’article 1015-1 du code de procédure cvile.
La chambre commerciale rendra son avis le 1er décembre 2021 rappelant deux principes :
- L’usufruitier ne peut revendiquer la qualité d’associé.
- L’usufruitier peut provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance.
- L’usufruitier ne peut revendiquer la qualité d’associé :
L’article 578 du code civil définit l’usufruit comme étant « le droit de jouir des biens dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance ».
L’usufruitier n’est donc pas propriétaire du bien et ne peut ,dans ses conditions, revendiquer la qualité d’associé ; seul le nu-propriétaire, propriétaire des parts sociales, est considéré comme le détenteur des parts sociales.
C’est en s’appuyant sur cette analyse, imparable de surcroît, que la Cour d’Appel de Bordeaux a rejeté la demande faite par les usufruitiers : l’article 39 sus énoncé n’autorise la possibilité de provoquer une délibération des associés sur une question donnée qu’à l’actionnaire ou le propriétaire des parts sociales.
Cette notion fait l’unanimité, que ce soit devant la Cour de Cassation mais également devant la Cour Européenne de Justice (CJCE du 22 décembre 2008).
La Cour de Cassation lit dans l’art 578 du Code Civil que le nu-propriétaire est associé, et l’usufruitier non.
Il semble qu’implicitement la Chambre Commerciale ait choisi d’attacher la qualité d’associé à la propriété des parts ou actions.
Il n’est pas illogique de postuler que l’associé est celui qui est titulaire des actions et parts sociales suceptible d’être grevées d’usufruit ; ce titulaire est donc le propriétaire.
Toutefois une telle analyse enlèverait toute possibilité à l’usufruitier d’intervenir et de provoquer une assemblée générale au motif qu’il ne lui est pas reconnu la qualité d’associé.
Une telle position entrainerait des conséquences non négligeables en droit des sociétés :
– Exclusion en toute hypothése de l’usufruitier des obligations aux dettes sociales dans les société de
personnes.
– Exclusion de l’usufruitier du décompte des associés, s’agissant de savoir si le quorum est atteint, ce
qui risque d’entrainer des difficultés dans le cadre d’EURL si l’unique associé ne se déplace pas.
– Refus à l’usufruitier de tout droit reconnu à l’associé ou toute action en justice attitrée à l’associé
(procédure judiciaire en résiliation de bail …..)
Aussi la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation va atténuer ce principe en autorisant l’usufruitier à utiliser les prérogatives de l’article 39 du decret : « L’usufruitier doit pouvoir provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance»
- L’usufruitier peut provoquer une délibération des associés sur une question suseptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance :
La Chambre Commerciale de la Cour de Cassation va reconnaitre purement et simplement un droit à l’usufruitier « L’usufruitier de part sociale peut provoquer une délibération des associés, en application de l’article 39 du decret du 3 juillet 1978 si cette délibération est susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des parts sociales ».
Dans l’arrêt qui nous intéréss , la Cour de Cassation autorise l’usufruitier à saisir le tribunal judiciaire en vue de la nommination d’un cogérant sous réserve que l’usufruitier démontre que la délibération à venir est susceptible d’avoir une incidenc directe sur son droit de jouissance des parts sociales.
En tout état de cause la Cour de Cassation Chambre Civile devrait casser la décision de la Cour d’Appel de Bordeaux : celle-ci n’ayant pas examiné le point de savoir si la demande faite par l’usufruitier pouvait avoir une incidence directe sur son droit de jouissance, elle s’est contenté basiquement de constater que l’usufruitier n’étant pas le propriétaire des parts et qu’a ce titre il n’avait pas qualité pour agir.
L’avis de la Cour de Cassation chambre commerciale est présenté comme la combinaison de l’article 39 du decret et de l’article 578 du code civil .
Rappelons qu’en application de l’article 39 l’associé non gérant d’une société peut à tout moment par lettre recommandé avec accusé de réception demander au gérant la convocation à une assemblée, en cas de refus de la part du gérant ou d’absence de réponse l’associé peut saisir un mois après, le tribunal judiciaire en procédure accéléré au fond.
Toutefois cette possibilité n’est accordée à l’usufruitier que s’il justifie que la décision aura une incidence directe sur son droit de jouissance
La Chambre Commerciale de la Cour de Cassation se fait ainsi créateur de droit : en effet, aucun texte n’impose à l’usufruitier de justifier d’un intérêt direct et ce d’autant plus que l’usufruitier à la charge de la preuve.
Cette exigence sera la source d’un contentieux fourni, la jurisprudence ne définissant pas la notion d’interet direct, il appartiendra aux magistrats de vérifier au cas par cas si les conditions d’interet direct sont remplies.
Est-ce que la gestion d’une société peut avoir une conséquence directe sur les droit de jouissance de l’usufruitier ?
A priori on serait tenté de dire oui.
La problématique n’est pas aussi simple ;
Les arrêts de la cour de Cassation auraient tendance à faire perdre tout espoir aux usufruitiers.
En effet la faute de gestion caractérisée et l’interposition de la personnalité morale de la société risquent de faire perdre le caractère direct du préjudice de jouissance.
Rappelons que dans un arrêt de la Cour de Cassation du 26 janviers 1970 il avait été considéré que le préjudice d’un actionnaire est le corollaire du préjudice social.
Dans ces conditions l’incidence sur le droit de jouissance risque d’être analysé comme une conséquence indirecte au préjudice social.
La possibilité pour l’usufruitier de voir aboutir sa demande parait très mince.
Il nous semble qu’il eu été plus rationnel de revenir à une lecture beaucoup plus simple de ces deux textes. L’article 578 du Code Civil est ainsi rédigé « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre à la propriété, comme le propriétaire lui même, mais à la charge d’en conserver la substance »
Dont acte.
L’usufruitier jouit des fruits des parts sociales ou actions appartenent à un tiers.
Dès lors seul le nu-propriétaire est actionnaire et a qualité, en application de l’article 39, de solliciter du gérant la convocation à une assemblée.
Toutefois l’art 578 prévoit que l’usufruitier joui des choses comme le propriétaire.
Il peut donc se substituer à tout droit et action que détient le propriétaire et donc en apllication de l’article 39 interpeller le gérant en vue d’une convocation à une assemblée non pas lorsque celle-ci a une incidence directe sur le droit de jouissance, mais dans la limite de ne pas porter atteinte à la substance du bien.
Dans ces conditions l’usufruitier peut exercer tout droit attaché à la propriété du bien et il appartiendrait alors au dirigeant de la sociéré de s’opposer à une telle demande celle-ci faisant courir un rique à la substance même du bien.
La charge de la preuve étant inversé, il appartient au défendeur de justifier que l’action intentée porterai atteinte à la substance même du bien.
Une telle application des textes aurait l’avantage de la clarté et permettrait de créer un droit non contestable de l’usufruitier à vie sociale des société.
Nous restons dans l’attente de l’analyse qui sera faite par la Chambre Civile.